A vrai dire, nous pourrions être tentés de croire que ce sont leurs adaptations cinématographiques par Maurice Pialat (1925-2003) en 1987 pour le premier et par le réalisateur portugais Manoel de Oliveira (1908-2015) en 1985 pour la seconde qui ont agi comme moteur de la réflexion que nous propose, ici, Jean-Luc Blanc tant il aime également à dévorer de la pellicule. Il en extrait généralement des images qui viennent nourrir un corpus qu’il enrichit de celles collectées dans des revues, magazines, articles de presse, publicités ou cartes postales. Son projet artistique, où leur statut et celui de la figure humaine sont bien évidemment questionnés, nous interroge aussi sur le rapport que nous entretenons avec ces mêmes images. Au-delà, Jean-Luc Blanc nous propose une plongée étonnante au cœur de l’humain et de sa condition.

Pour cette exposition, le protocole est majoritairement différent. La plupart des dessins présentés ici ont été réalisés spontanément. Il s’agit d’images construites mentalement par l’artiste et non détournées et augmentées, ce qui leur confère une charge poétique singulière, accentuée par la technique employée par Jean-Luc Blanc. Ses œuvres ont comme support des feuilles servant à isoler du sol de l’atelier les précédents travaux. Tâches et salissures en sont le point de départ. Chaque dessin est réalisé au carbone et est littéralement noyé de térébenthine. Ce procédé aboutit simultanément, par transfert, à l’apparition d’images « fantômes » sur les feuilles situées en dessous formant ainsi un fond à partir duquel Jean-Luc Blanc fait émerger de nouvelles figures, de nouvelles scènes. Assemblés, ces dessins forment un ensemble qui nous donne à voir une sorte de story-board, une suite de plans nous laissant entrevoir une étrange histoire, celle d’une humanité traversée par la question du désir où se mêlent, tour à tour, tendresse, érotisme, manipulation, brutalité, cruauté même, voire pornographie. L’expressionisme sombre qui s’en dégage leur confère des accents hallucinés. Les figures représentées sont décontextualisées et n’ont de valeur que par les relations qu’elles entretiennent entre elles. La scène où se joue cette pièce aux accents si étrangement dramatiques n’est autre que le monde, celui de nos solitudes, de nos errances, égarements et vicissitudes.

Cette exposition prend la forme d’une expérience saisissante pour celui qui la visite, regarde les œuvres présentées et, enfin, voit. Dans des temps où la morale envahit des pans entiers de notre société et nous fait encourir le risque d’une ombre envahissante, toxique et grise d’une nuit glacée, elle a tout d’une mise à l’épreuve. Nous voici comme le héros de Bernanos, le jeune abbé Donissan, doué de la capacité de vision à travers les êtres. L’épreuve est, ici, plus terrible encore. Nous sommes amenés à voir au travers de nous-même, dans un duel qui oppose notre obsession psychotique du mal, de la noirceur du monde et notre amour de l’humain dans ce qu’il a de plus fragile et de plus désespéré. Jean-Luc Blanc nous invite, en somme, à faire le deuil de notre part d’imbécilité qui se nourrit, comme le dit si bien Georges Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune, d’habitudes et de ces partis pris qui engendrent la peur et le rejet de l’autre.

Une peinture de grand format ponctue la scénographie. Il s’agit d’un portrait en buste d’un enfant aux yeux grands ouverts, au col noué d’un petit nœud strictement ajusté et noir, à la chemise blanche, éclatante, ponctuée de couleurs vives. L’image est frontale et saisissante, limpide et lumineuse. Elle nous permet d’accéder à une évidente vérité, cette simplicité de l’âme qui nous fait si souvent défaut…

Cette simplicité de l’âme, nous consacrons notre vie à l’acquérir, ou à la retrouver si nous l’avons connue, car c’est un don de l’enfance qui le plus souvent ne survit pas à l’enfance… il faut très longtemps souffrir pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit on découvre une autre aurore… Georges Bernanos, Dialogues des carmélites

Yves Peltier