À partir de ses propres vêtements, ceux des membres de sa famille ou de ses ami.e.s, elle déchire, tresse, noue et enroule des formes informes, qui, une fois posées au sol, évoquent des sexes masculins. Les tapis chamarrés sont autant de territoires que de membres étrangement familiers. Articulés au sol, ils prennent l’espace, décident de la circulation, captent la lumière. Sans littéralement faire de la peinture, Sandra Lecoq se joue, non sans humour, du support et de la surface. Female Wild Soul. Les œuvres peuvent être envisagées comme autant de pieds de nez aux acteurs du mouvement plastique et pictural dont elle est une héritière. Les tapis, les peintures cravates, les dessins, les céramiques et les mots constituent une réaction, une réponse, une revendication et une affirmation : celle d’une singularité. Celle d’un art conscient de sa puissance féminine et féministe. Un art qui n’hésite pas à provoquer, à bousculer, voire à insulter pour tenir tête, pour exister, librement.

Female Wild Soul. Il n’est pas si facile d’entrer dans l’atelier de Sandra Lecoq. Si elle y travaille quotidiennement, l’artiste se fait extrêmement discrète. Jusqu’ici, son œuvre est encore trop peu montrée. Sa pratique et sa réflexion sont nourries d’une liberté et d’une colère sans borne. En s’adressant à un imaginaire collectif fabriqué à partir de cultures populaires, Sandra Lecoq tord le cou aux idées reçues qu’elle transforme en outils critiques. Elle s’empare de symboles aux genres assignés – des fleurs pour les filles, des cravates pour les garçons. Pourtant, une fois découpées, assemblées, entremêlées, les assignations s’annulent au profit d’œuvres teintées d’un humour éminemment politique. Si historiquement et traditionnellement, les femmes étaient restreintes à des formes décoratives, Sandra Lecoq revisite la notion de même d’art décoratif par la provocation, la subversion et la vulgarité. Female Wild Soul. Les peintures textiles, les dessins, les sculptures et les céramiques invitent à repenser l’expérience féminine par l’empowerment, c’est-à-dire un processus par lequel l’artiste réclame un pouvoir dont elle était privée et une légitimation.

La pratique du collage et plus spécifiquement du patchwork traverse l’ensemble de sa pratique. Il s’agit en effet de coudre ensemble des éléments disparates renvoyant à des corps, des récits et des mémoires plurielles. Dans les années 1970, les féministes hurlaient le personnel est politique ! Sandra Lecoq injecte constamment dans ses matériaux et ses gestes sa propre histoire, son expérience et sa condition de femme, de mère, d’amie, de femme artiste. Sa vie personnelle est placée au cœur d’un corpus d’œuvres que l’on pourrait finalement envisager comme un autoportrait. Female Wild Soul. Le titre de l’exposition est un mantra intime inscrit dans plusieurs œuvres. Le mantra est, au fil du temps, devenu une signature. Lutter c’est insister. L’âme sauvage féminine qui scande son œuvre est bien la sienne : insolente, impertinente, bavarde, punk, hétéroclite, brute, sensible, nostalgique, inapprivoisée, fière, têtue, froussarde, bruyante, douce, bariolée, modeste, emportée, généreuse et persévérante. Ce sont les fragments de cette âme sauvage que nous vous invitons à expérimenter, à déchiffrer et à rencontrer.

Julie Crenn.