Le monde ou rien

La possibilité d’un manifeste ?

Manifester, que ce soit de manière traditionnelle et dynamique sous la forme d’une marche revendicative, hurlante ou silencieuse, comme cela se fait habituellement de la place de la république à la Bastille en journée ou debout la nuit, partout en France, reste encore aujourd’hui un acte parfois nécessaire, en tout cas toujours engagé et citoyen.

Dans cet archipel qu’est notre monde contemporain où chaque îlot fonctionne avec ses propres codes, ses propres repères, nous avons de plus en plus de mal à communiquer avec les autres dans une transversalité qui ignorerait les particularismes de chacun. Ces rassemblements de masses ont, au moins, le mérite de révéler une quête profonde. Celle d’une citoyenneté ou l’humain et son devenir sont au cœur des préoccupations de tous au-delà des clivages idéologiques qui fragmentent notre société contemporaine.

Dans ces manifestations, nous voyons ces derniers temps des ateliers se former spontanément où l’on aborde collectivement certaines problématiques, certains questionnements. Il y a, là, une sorte de réappropriation du débat et du discours politique par le citoyen. Chacun avec ses propres mots, ses propres formulations, un langage qui n’appartient qu’à lui, tente de créer des convergences. Cette démarche, ce mouvement semble en contradiction avec la posture figée adoptée, debout- la nuit, qui révèle la perte de lien social, l’isolement de tous. Un phénomène évident dans notre société contemporaine dont la rue nous donne des exemples flagrants tous les jours. Cette même posture dit, aussi, l’attente du citoyen face au politique.

L’écoute et le dialogue tardent. Il y a urgence à trouver une réponse à une question que tout le monde se pose : comment recréer du lien, de l’humain et ce, de façon durable ? Nous estimons qu’il y a urgence à faire l’état des choses afin de formuler des questionnements qui permettront échanges et prises de parole. Il s’agit de trouver les mots justes afin de construire un discours et un récit communs, basés sur une éthique profondément républicaine et démocratique. C’est là, le sens de notre démarche, de ces expositions.

La question du rôle du citoyen dans ce processus en cours n’a plus de sens aujourd’hui. Il en est, de toute évidence, l’épicentre. La question de la place de l’artiste, elle, doit être posée clairement. Peut-il rester hors du champ des phénomènes, des événements et des possibles ? Il a son rôle à jouer bien sûr, celui d’éveiller au monde mais pas seulement.

Chacun de ceux qui participent à cette exposition exprime, avec son propre vocabulaire et sa sensibilité, les préoccupations qui sont celles de nous tous aujourd’hui et ce désir de dire et de participer, à sa manière.

Nous espérons vivement que cette initiative en incitera d’autres, que cette exposition soit prétexte à un projet plus large et pourquoi pas nomade, dans des lieux intéressés par une telle initiative, avec le soutien de politiques de toutes sensibilités et ouverts au dialogue, avec la participation d’artistes qui auront cette même volonté en commun. Nous sommes tous concernés, parce qu’en vérité c’est du monde qu’il s’agit, de son devenir et du risque terrifiant et absolu du rien.

Florence Farrugia, Karim Ghelloussi, Yves Peltier, Michel Sajn