Ligne filante d’une comète ou volume ancestral d’un habitat, l’esthétique minimale de l’artiste s’articule autour d’un vocabulaire exigent qui a recours à la fois aux plans de coupe épurés de l’architecte et au lyrisme du peintre, fusionnant en un geste d’alchimiste le géomètre et le védutiste. Ainsi de cet arbre minutieusement représenté en surplomb d’une chaîne de montagnes aux formes presqu’arbitraires que relie une figure purement géométrique. Par sa présence discrète mais centrale, celle-ci devient le référentiel mathématique, la boussole du cadre créatif. Ce cadre, territoire à part entière, est parfois bousculé par une surface peinte jaillissante ou dégoulinante. A contrario, il peut aussi être le lieu qui retient le paysage captif, comme une gemme retient les couleurs opalines de la lumière, comme Magritte retenait l’horizon de ses rêves dans une fenêtre poétique.
Dans sa dernière série d’œuvres présentées à la Villa Arson, ces territoires spéculatifs se sont ouverts à un monde plus concret puisque l’artiste a décidé d’explorer le territoire qu’il habite depuis 20 ans, celui de la Côte d’Azur où il a enfin jeté l’ancre, alors que de son propre aveu, il est un nomade depuis toujours, n’ayant cessé de déménager, de se déplacer d’un point géographique à un autre dans la première partie de sa vie. A partir de données scientifiques et avec l’aide d’un géologue, il a visualisé les incidences physiques de l’activité humaine sur la terre et son sous-sol, lui permettant d’envisager le phénomène de migration dans une dimension scientifique et non plus uniquement sociale ou politique. Les relevés graphiques des impacts des ondes électromagnétiques et de densité d’occupation des sols ont été modélisés numériquement avant de devenir esquisse puis de se transformer en une abstraction peinte, faite de lignes de fuite, de volumes en perspective, de grilles en réseau, de points de correspondances et de taches éclatées, agencées sur des fonds unis à la profondeur déroutante, plongeant notre regard dans une perspective vertigineuse. Naissent alors des paysages inachevés et des constellations évanescentes habités par des raies de lumière et des aplats de couleurs en suspension, le tout unifié par un vert intense qui se propage sur les murs d’exposition, couleur de l’oxydation de la tourmaline, ce cristal connu pour absorber les ondes et les énergies négatives. Un vert qui semble artificiel, magique, étrangement salvateur, sorti d’entrailles invisibles…
Voyage au centre de la terre ou aux confins de la nuit ? Nous traversons des strates, des couches de recouvrements et des effets de transparence obtenus grâce à une technique éprouvée du geste artistique qui dégraisse la peinture, à l’instar d’une érosion sur une pierre millénaire, à l’instar du doigt graveur de Miró qui défiait la matière pour en déceler son essence. Les oxydations sur cuivre qui se jouent des contraintes semblent être la quintessence de cette archéologie tellurique en même temps que l’allégorie de « l’entropie d’un territoire » – titre choisi par l’artiste pour cette série d’œuvres. L’image conceptuelle rejoint ici l’interprétation sensorielle car ces schèmes de signes retrouvés par l’artiste ne sont-ils pas la trace de notre passage sur terre ? La trace de vie qui contrebalance l’entropie inhérente à la matière, faite de « dysfonctionnements » et d’« effondrements » – titrent certaines des œuvres. Pour rappeler la réalité des événements, petits parasols de papier et petites têtes d’humains en mie de pain et résine époxy miment les pérégrinations et flux migratoires vers des terres urbanisées, utopies d’une vie meilleure, néguentropies face à l’inévitable chaos du monde.
Les données scientifiques s’évanouissent sous une fragile harmonie révélée – celle des sphères auraient murmuré les Anciens. On y cherche la note d’équilibre. On se souvient de Tapiès qui créait ses immenses surfaces abstraites où le symbole faisait office de trace mystérieuse à l’intérieur d’un désordre systémique. On est bien face à notre réalité migratoire transformée en abstraction métaphysique. C’est ici que la poétique naît, dans la contemplation de ces nouvelles matrices créées par Kristof Everart, qui renferment l’écho de notre présence au monde et de nos errances intimes, en perpétuel mouvement, sur le flux de l’ordre et du chaos.
Julie Chaizemartin