La galerie Circonstance propose les œuvres de quatre artistes : David Artaud, Laurette Atrux-Tallau, Denis Brun et Julien Levy.

Julien Levy dessine dans des carnets dont il n’utilise que la double-page. Les deux pages qui se font face peuvent se replier l’une sur l’autre, le carnet se refermer, se glisser dans la poche. Pour lui, le dessin est tout à la fois une étude pour un projet à venir (une sculpture ou une installation) et une forme artistique finie. Le gris du graphite unifie des images aux origines diverses (trouvées sur l’internet, dans des journaux, ou encore snapshots de téléphone portable). (…) Le crayon griffe le papier, fige des blancs et figure les images dessinées d’un journal intime d’où la forme humaine s’est retirée. (exception faite de ce plongeur qui saute dans la mer du haut d’une falaise)

L’effet de réel vise ici l’adhésion du regardeur à une illusion représentative où la vraisemblance détoure le monde matériel.

La sculpture, l’installation et le dessin sont aujourd’hui les trois axes du travail de Laurette Atrux-Tallau. Elle expose à la galerie des sculptures réalisées avec des matériaux de la vie de tous les jours : coton–tiges, clous, pointes ou punaise. Ces sculptures posent la question de la sphère ; en géométrie de l’espace, c’est une surface fermée dont tous les points sont situés à une même distance d’un point intérieur appelé centre. (…)

«Toutes les choses reviennent éternellement, et nous-même avec elles. Tout s’en va, tout revient ; éternellement roule la roue de l’être […], éternellement se déroule l’année de l’être.» Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, partie III, « Le convalescent ».

Denis Brun a une pratique artistique polymorphe : dessin, vidéo, collage, installation, photographie, assemblage, peinture (acrylique, molle, murale, numérique), mais aussi écriture, musique, couture. Les uns nourrissant les autres. Il glisse de l’un à l’autre de ces médiums pour esquisser une façon d’autoportrait, inventer une narration de soi à travers l’évocation d’un monde imaginaire (qui réactualise la culture pop anglo-saxonne en la détournant). La galerie expose This Boots Are Made For Walking Dead : une paire de bottes noires, en céramique, le noir mat de l’ensemble contrastant avec le noir brillant des extrémités et de la semelle plateforme.

Denis Brun présente aussi trois flèches (Arrow Ginal) : ce sont des branches décorées avec de la laine, des fleurs artificielles, des bouts de plastique colorés, des morceaux de jouets ou de petits objets quotidiens. Un cône allongé et pointu, en faïence émaillée, est fixé à l’une des extrémités. Pour Denis Brun, il s’agit d’un retour aux origines par la flèche. Dans un futur post-apocalyptique, après une ultime guerre totale, les survivants vivraient pacifiquement dans différentes tribus et vénèreraient ces flèches, symbole de paix, qu’ils s’échangeraient lors de cérémonies rituelles et sacrées. (…)

L’approche transversale de la création chez Denis Brun est menée par la dérive poétique qui confère à ses narrations fictionnelles une part d’abstraction revendiquée.

David Artaud parle de « minimal bancal » pour décrire son travail : il convient, non pas de surproduire une œuvre, mais de jouer avec des défauts, du « mal fini » ou du « pas fini », selon le principe d’équivalence de Robert Filiou « bien fait = pas fait = mal fait ». Car, c’est sur la potentialité d’une œuvre que David Artaud porte son questionnement : ce qu’elle pourrait être, ce qu’elle voudrait être, ce qu’elle aurait pu être ou n’être pas. Questionnement que l’on peut également  passer au subjonctif « qu’elle puisse être,  qu’elle veuille être, … »

Peintures, dessins et sculptures ressortent de ce qu’il appelle « soupe primitive », ce chaos originel à partir duquel s’agencent les éléments d’un point de vue cosmologique. Comme dans cette petite sculpture, Tutti frutti, dont le socle est un cube de pyrite (« pierre à feu » ou « or des fous », elle produits des étincelles sous les chocs et a la couleur et l’éclat de l’or, ce qui rendaient fous les orpailleurs de l’Ouest américain). Sur ce cube, sont posés un fragment de météorite (venue de l’espace), un chewing-gum (destiné à être mâché par une bouche humaine) et deux petites perles de culture (utilisés en bijouterie) : cette combinaison potentielle, cet essai dans la cosmologie de l’évolution, « soupe primitive », a la vocation de faire fiasco.

Alexandra Majoral