Je ne cherche pas à refaire des images. Ce qui compte pour moi, ce qui est au cœur du projet, c’est cette question de l’identification. Comment je m’identifie aux victimes ? Comment le spectateur s’identifie à l’image ? Est-ce qu’on s’identifie à ces images de guerre au Moyen-Orient ? Est-ce qu’on ne s’identifie pas davantage aux images du conflit en Ukraine ? Ou en Yougoslavie ? Ce sont toujours les mêmes images. Ce sont exactement les mêmes scènes. Pourtant, on ne s’identifie pas de la même façon. Notre regard ne bascule pas dans l’image de la même manière. C’est cette bascule, ce pouvoir d’identification qui m’intéresse.(…)
Je travaille souvent la mise en scène. C’est quelque chose de très lourd techniquement.
Il y a un travail de repérage, de choix des personnages, des accessoires, des vêtements.
Et surtout un travail sur la lumière. Pour cette série, j’ai voulu travailler à l’inverse. Au moyen-format, mais à main levée, sans trépied, à la lumière du jour, quasiment sans repérage, avec des personnes ordinaires, de mon entourage. Je voulais alléger la mise en scène au maximum. Les gens viennent comme ils sont. La seule mise en scène finalement, c’est la mise en scène des corps. Je ne les fais pas jouer. Ils ont simplement les yeux fermés. Pas de cris, pas de pleurs, pas de sang sur le visage. Ils n’ont aucune expression(…) J’ai utilisé le noir et blanc pour mettre de côté les questions de la couleur.
Et c’est tout. On a eu les images d’après. Une fois que les secours étaient intervenus. (…)
C’était pourtant bien la guerre. (…) ça rejoint ce questionnement sur le droit à l’image des victimes. Ici, on protège l’identité et la douleur des victimes au nom du droit à l’image, quand ailleurs on dénie ce droit au nom du devoir de témoignage. (…) »
Entretien : Karim Ghelloussi / Florent Mattei
(A l’occasion de l’édition « Le monde ou rien » | Mai-juin 2016 | Circonstance Galerie)